Jean-Paul Riopelle

Jean-Paul Riopelle

1923-2002

C’est dans un véritable microcosme de la classe ouvrière canadienne-française que naquît Jean-Paul Riopelle, le 7 octobre 1923, rue de Lorimier à Montréal. Son père Léopold, menuisier, profite rapidement de la prospérité économique de Montréal et offre ainsi à sa famille tout le confort désiré. Son grand-père paternel quant à lui, était à la fois menuisier et croque-mort: la mort fait ainsi partie de la vie familiale dès la petite enfance du peintre.

En effet, son frère Paul, de 3 ans son cadet, décède prématurément. La perte de celui-ci le frappe de plein fouet. Il a 7 ans, l’âge de raison, et le traumatisme de la mise en scène funèbre de la cérémonie s’ajoute au chagrin qui restera gravé en lui à jamais. Tout au long de sa vie, il entretiendra ce rapport intense, profond et complexe avec la mort qui s’exprimera à travers ses paroles, sa vie et surtout, dans son œuvre. On y relève la tentative de contrer la mort dans le rapport du blanc et du noir, l’obsession de la toile blanche qui sera toujours présente dans son œuvre.

C’est en 1936 que Riopelle entre à l’école publique et Monsieur Henri Bisson qui lui prodigue ses premiers cours de dessin. Une belle complicité se développe entre l’élève et le maître. Ensemble, ils passent des journées entières à peindre à l’extérieur. Le contact entre nature et peinture devient peu à peu indissociable, l’une renvoyant à l’autre. En 1943, il entre à l’École du Meuble pour échapper à la conscription. À cette époque, le corps professoral était déjà constitué d’artistes les plus modernes et avant-gardistes du temps; c’est là qu’il fait la connaissance de ceux qui deviendront ses acolytes dans l’art pour plusieurs années et notamment Paul-Émile Borduas, qui aura une influence déterminante sur lui.

La relation élève-maître n’a pas toujours été facile; Riopelle est rétif à toute autorité et tient beaucoup à la formation académique qu’il a reçu de son professeur Henri Bisson. Lorsque la confiance est établie entre Borduas et lui, son évolution est rapide et fertile. En plus de s’adonner régulièrement à l’écriture automatique, il profite pleinement des exercices de libération intérieure prônée par Borduas.

Dans les lithographies présentées, le griffonnage noir, nerveux et libre instaure à l’avant-plan l’automatisme d’une écriture. Nous retrouvons ainsi l’équivalence picturale de l’écriture automatique. Cependant, même si Riopelle fait partie du groupe des Automatistes, il s’en distingue tout de même par un certain contrôle de son geste. Le tableau ne fonctionne pas selon l’association d’images libres comme dans les rêves, mais plutôt sur des images qui rétroagissent l’une envers l’autre. Ce sont ses propres images qu’il s’approprie.

Peu de temps après la première exposition du groupe de Borduas en 1946, le peintre et sa jeune épouse Françoise Lespérance, partent pour Paris. Après avoir signé avec André Breton, le père du Surréalisme et son grand ami, le manifeste Rupture inaugurale rédigé par Henri Pastoureau, il a l’idée d’un manifeste local qui refléterait les préoccupations québécoises, d’où est né le Refus global. Riopelle est un homme engagé et défend le manifeste avec ferveur chaque fois que nécessaire.

Les années ‘50 marquent Riopelle par la découverte et l’intégration du All-over américain surtout connu dans les oeuvres de Jackson Pollock ; là encore, Jean-Paul Riopelle adapte la technique pour lui. Le All-over prend une autre dimension et se transforme en All-attack, reprenant ainsi un terme militaire signifiant une attaque qui provient de tous les côtés. De ce bagage artistique ressort les grandes mosaïques qui émeuvent et portent à l’admiration nombre de spectateurs. À cette époque, Riopelle connaît déjà un succès international en exposant tant à Paris, à New York qu’à Montréal. Son œuvre est reconnue mondialement et prisée par les collectionneurs. Il travaille avec acharnement et peut passer des jours et des nuits entières à peindre allant jusqu’à oublier de manger et de boire. Il émerge de ces séances, épuisé, mais repu.

Le peintre ne se contente pas d’être seulement peintre; il s’adonne également à la sculpture et plus tard à la gravure et au collage finissant même par travailler à la bombe aérosol. L’influence du travail de la matière sculptée fait tranquillement disparaître les grandes mosaïques. On remarque de plus en plus une « re-figuration » de la même manière que l’on dit « se remémorer »; c’est l’évocation de la nature si chère à Riopelle. La riche production de 1966 confirme ce passage.

En effet, c’est à ce moment qu’il entre à la galerie Maeght et découvre la gravure qu’il n’a qu’effleurer. Il a à sa disposition de nombreux ateliers où il explore la technique à sa guise. Au lieu de se plier aux contraintes du genre qui l’obligeraient à trop de répétitions, il traite chaque état comme une étape complète en elle-même, ce qui caractérise les premières suites que nous présentons, Feuilles, Album ’67 et Jute, ainsi que les eaux-fortes de 1967 comme la Poule Faisanne. Quelques autres lithographies originales également : Grappes, Vétheuil, Affiche après la lettre, Suite Lachaudière, Sur l’étang…

Il veut défier la technique et il n’a pas peur de risquer l’échec; de toute manière, il récupère les rejets lithographiques pour en faire des collages.

Dans les œuvres que nous présentons, on voit encore une fois apparaître l’idée du piège, de la toile d’araignée. Le piège qui est piégé permet ainsi la liberté; la ligne n’est pas contrainte à la simple délimitation de la forme.

Au début des années ‘70, Riopelle renoue avec son Québec natal et s’installe à Sainte-Marguerite-du-lac-Masson. Le retour aux sources, à la nature à son état pur, influence à nouveau le peintre dans son œuvre. Nous découvrons peu à peu les grandes envolées d’oies sauvages si intimement liées à la grandiose œuvre Hommage à Rosa Luxembourg de 1992. Même dans la pure abstraction, Riopelle a toujours su faire référence à la nature sauvage. Peut être et probablement de façon inconsciente, ses thèmes demeurent toujours très canadiens. D’ailleurs, André Breton dira de son travail que c’est l’œuvre d’un trappeur supérieur, même si, pour le peintre, ce n’est pas la forêt canadienne qui a de l’importance, mais la feuille.

Jean-Paul Riopelle fût un artiste qui marqua considérablement l’histoire de l’art du Québec, mais aussi de la scène internationale. Même si son œuvre est rebelle aux classifications, elle fût acceptée par la critique d’art et a obtenu une place de choix dans les livres d’art. Il laisse derrière lui une énorme production totalisant environ 5 000 œuvres. Sur vingt-cinq années, sa production de gravures compte plus de 400 pièces.

« Je suis un oiseau libre » Riopelle.

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