Stanley M. Cosgrove
1911-2002
En 1929, Stanley Morel Cosgrove (Montréal 1911 – Montréal 2002) entre à l’École des Beaux-arts de Montréal où il apprend la peinture directement du directeur, Charles Maillard. Il devient ensuite l’élève du renommé artiste Edwin Holgate qui lui enseigne le dessin. Il séjourne ensuite 6 mois en Gaspésie où il découvre l’horizon marin.
En 1937, Cosgrove vend ses premiers tableaux à Montréal et passe l’été à peindre en Charlevoix. L’année suivante, il assiste Holgate dans la réalisation d’une frise murale pour le pavillon du Canada à l’exposition de 1939 de New-York. Sa première exposition solo aura lieu à Québec en 1939.
Stanley Cosgrove obtient une bourse pour étudier en France mais à cause de la guerre il choisira plutôt de partir au Mexique. Il déménage à Cuernavaca en 1941 et voyage à travers le pays pour visiter les sites pré-cortésiens et les églises de style colonial. Il retourne vivre à Mexico où il devient l’assistant d’Orozco pour réaliser une fresque dont il apprend la technique. De retour à Montréal en novembre 1942 pour enseigner la composition décorative et, un peu plus tard, la fresque aux Beaux-arts, il prépare une exposition solo et en 1947 devient membre du Groupe des Peintres Canadiens. En 1951, Cosgrove est nommé Membre Associé de l’Académie Royale des Arts du Canada. Il obtient une bourse du gouvernement fédéral et part pour la France.
Tout au long de sa carrière, Stanley Cosgrove enseigne à l’École des beaux-arts et expose nombre de ses oeuvres dans d’importantes collections publiques canadiennes. Son oeuvre est majoritairement centrée sur la figure humaine, la nature morte et le paysage canadien, thèmes auxquels il donne une touche très personnelle.
En 1973, il est nommé membre titulaire de l’Académie Royale des Arts du Canada
Hommage à Stanley Cosgrove (1911-2002) – Une oeuvre à dégager
Il prenait aussi la forme d’une certaine attitude, faite d’orgueil, de méditation, de sensualité, d’acuité du regard. On sentait bien chez lui une émotion intense, mais celle-ci n’entraînait jamais une totale adhésion. Esprit stoïque, il ne cherchait pas à exercer une influence au-delà du cercle de ses relations immédiates et familiales, celles précisément qui servaient de cadre à ses activités quotidiennes, c’est-à-dire au travail d’atelier.
Du coup, Cosgrove avait développé une capacité à se protéger contre toute relation pouvant le distraire de l’espace-vie qu’il s’était créé et, en fin de compte, de l’espace, tout aussi vital pour lui, de la toile. Cet espace encadré était aussi encadrant.
Cependant, Cosgrove fut aussi le peintre de l’engagement pictural. En quoi? D’abord par la problématique de l’insertion qu’il a mise en actes. En 1945, l’unique voyage en France avec l’artiste montréalais Edwin Holgate n’ayant pas eu de réelles conséquences, Cosgrove s’est détourné, dans une certaine mesure, de sa nature de peintre canadien et a signé l’insertion du Québec en Amérique en se plaçant sous le mentorat, de 1939 à 1945, du peintre et muraliste mexicain Clemente Orozco.
Une indépendance aussi farouche invite à la réflexion. Elle rappelle la nécessité, pour l’artiste, de protéger sa sensibilité extrême contre les attentes de sa famille d’origine. Et aussi d’emprunter un parcours professionnel ancré dans la solitude.
Cependant, l’irascible Orozco l’avait choisi comme assistant. Cosgrove explique ainsi ce choix: «J’ai pu saisir comment m’y prendre pour travailler avec lui sans le déranger, comment m’y prendre pour devenir une de ses mains.»
Pour tout dire, le peintre Orozco n’avait plus qu’une main. Laquelle, je ne peux le dire au juste, mais j’ai le souvenir d’une photo qui le montre examinant, sur un pupitre, un dessin de papa. Comment Orozco avait-il perdu cette main ou ce bras? Quelle lacune venait combler Stanley Cosgrove en devenant l’intermédiaire actif entre l’artiste mexicain, concepteur de l’oeuvre à réaliser, et le fond blanc de la future fresque? Je ne peux répondre à ces questions que je n’ai d’ailleurs jamais formulées du vivant de mon père. Vers la fin de sa vie, j’ai tout de même eu celle-ci: «Papa, voudrais-tu me montrer — c’est-à-dire qu’on aille ensemble et que tu me montres de ta main la maison de Saint-Henri où tu as grandi?» Un signe de la tête: «Oui.» Les yeux sont baissés: abattement? peur? détente? tristesse appréhendée du petit garçon qui reverra la maison de sa mère souffrante? Nous n’avons pas eu le temps de faire cette promenade…
À la fin, il me demandait de lire et relire la lettre manuscrite d’un certain collectionneur, comme s’il n’arrivait pas à croire qu’il avait réussi à rejoindre ses interlocuteurs humains, ceux-ci incarnant une sorte d’instance paternelle, une patrie, en empruntant jour après jour les voies de communication qu’il inscrivait, lui, de sa main, sur la toile. Qu’avait-il réparé au juste avec Orosco? Qui aurait pu le dire, même de son vivant? Il nous laissait périodiquement, marchant droit devant sa solitude, les espaces environnants, certains objets précis auxquels son art restaurait une dignité. L’esprit hardi, les sens aiguisés, le regard assuré, il s’appropriait les petits et les grands espaces du Nouveau Monde.
C’est ainsi qu’il a su, par ailleurs, assumer dans toute sa singularité la rencontre déterminante pour le cours de son existence, puisqu’elle provoqua sa naissance, entre une Québécoise de Saint-Henri, pleine d’entrain mais alitée des suites d’une maladie de jeunesse, et un ouvrier tourmenté de l’usine Redpath, né d’immigrés irlandais, John Malachy Cosgrove, dont le patronyme signifie «bosquet paisible» en langue celte. En écrivant ce nom, me revient aussitôt en mémoire celui, québéco-irlandais, de François O’Neil, qui servit de guide au peintre lors de ces chères parties de pêche sur l’île d’Anticosti. Irlandais du Nouveau Monde…
D’autres firent abstraction du réel pour laisser parler la peinture. La main de Stanley Cosgrove fit abstraction des origines sociales pour laisser parler l’Art en tant qu’interlocuteur et objet-matrice.
Ceux qui vivaient avec lui l’ont souvent vu attirer l’attention sur telle beauté éphémère, objet ou paysage, ses couleurs surtout, au détriment de tout autre élément humain, susceptible de perturber ce rapport. Comme malgré nous, on en venait donc, au cours de ces promenades, à vouloir rebrousser chemin pour retrouver le lieu où la parole avait été escamotée.
Je songe à lui, devant une classe de jeunes élèves: «Posez vos têtes sur vos pupitres. Maintenant, écoutez les bruits qui entrent par la fenêtre.» D’instinct, mon père savait qu’il faut écouter ce qui est hors de soi quitte à ouvrir, pour ce faire, et tout en le réduisant, l’espace de l’écoute au cadre de la toile, au chemin où se posent les pieds pour mieux voir les couleurs du framboisier, au pupitre où poser la tête pour entendre les bruits de la cour d’école, au sein maternel où laisser reposer ses sens. Loin de toute interférence, sa main a su colmater les brèches entre nous et les objets.